Le 6 mars 1966, vers 17h...

Autobiographie du parcours de Val


... naissait un enfant à la maternité de Mâcon. Ses parents avaient déjà deux fils alors âgés de 7 et 8 ans.

Le bébé n’aurait pas dû arriver ce jour, mais un mois plus tard. On n’avait pas encore choisi de prénom, et certainement pas pour un garçon. Mais voilà, sans aucun doute possible, c’en était un ... On l’appellera Jacques, comme son père.

Il eut une petite enfance normale ; celle d’un enfant que la sensibilité liait fortement à sa mère. Il ne fit que deux jours à l’école maternelle. Il les passa à pleurer. Il fut dispensé d’y retourner. Puis trois ans pile après lui naissait enfin une sœur. Il fallait déménager. Ses parents choisirent d’aller vivre à la campagne. On était en 1970.

Les premiers signes d’un malaise qui allait s’avérer profond apparurent trois ans plus tard alors que Jacques était en CE1 à l’école de B. Il avait environ 7 ans. Il fut pris d’une envie irrépressible d’essayer certains vêtements de sa mère. Ceux-ci étaient trop grands, mais peu importe, il se sentait bien. C’est ainsi qu’il commença sa “double vie” qu’il mena en cachette jusqu’à aujourd’hui.

Il commença donc par porter des vêtements qu’il empruntait dans les armoires de sa maman ou d’une tante chez qui il dormait de temps à autre. Il ne pouvait s’en empêcher, allant jusqu’à ressentir des douleurs dans le bas ventre s’il ne cédait pas à ses envies. A l’école, il était assez discret, presque solitaire, quoiqu’il préférait la compagnie des filles à celle des autres garçons. Il était le premier de la classe, mais chaque matin c’était pleurs et cris pour ne pas y aller. Sa vie continua ainsi, il avait honte de ses “travers”. Il n’était pas normal, et il ne fallait surtout pas que ça se sache. Il fallait que ses séances de “travestissement” cessent, qu’il soit ce que l’on attendait de lui : un garçon. Alors il cessait quelques jours, ou quelques mois, puis recommençait.

Arriva l’époque du collège qui fut aussi celle de sa première dépression nerveuse. Il avait 13 ou 14 ans et venait d’entrer en troisième. Rejeté par la plupart de ses camarades de classe masculins, il était très souvent entouré de filles pour qui il jouait le rôle de confident, un peu comme une “meilleure copine”. Il du changer d’école. Il était toujours premier de la classe. Il partit finir l’année scolaire dans un autre collège mâconnais. Il ne fallait pas que ça se reproduise, il devait jouer le rôle que sa naissance lui avait attribué. Il rentra en seconde et choisit ses copains parmi les “fortes têtes”. Il prit un look de dur, mais, de temps à autre, quand il rentrait chez lui, il devenait “elle”, en cachette. Ses résultats scolaires chutèrent. Il ne fut pas admis en première. Ce fut les premières “cuites”, puis les premiers joints. Il avait quinze ans. Constamment déprimé, il était souvent sous traitement anti-stress, calmant. Il fit sa deuxième rentrée en seconde dans un autre lycée qu’il quitta dès la fin du premier trimestre pour ne plus rien faire. Il ne trouvait pas sa place. Il était mal dans sa peau et fumait et buvait de plus en plus pour se sentir mieux. Puis il se décida à refaire une troisième rentrée en seconde l’année suivante dans un lycée privé où il resta jusqu’en fin de première, puis il arrêta définitivement l’école.

Ensuite arrivèrent les années moto, petit club de fêtards sympa, cheveux longs, bières, joints et virées sur deux roues. Premier appartement. Il put enfin s’acheter ses premiers vêtements de femme, et troquait son perfecto et ses jeans contre jupes et collants dès qu’il était seul chez lui. Puis la honte l’emportait. Tous ces vêtements se retrouvaient dans un sac poubelle loin de chez lui, où il ne pourrait pas les récupérer. Il s’en passait quelques temps ... et recommençait.

Il avait des aventures avec des filles, il en aima vraiment, il eu même un grand amour, mais sexuellement ça n’était pas le “pied”. Il s’”essaya” avec des garçons, mais il ne supportait pas la masculinité. Il n’aimait pas son sexe.

Arriva le temps des trois jours, il fut exempté pour avoir subi une opération au genou suite à une chute en moto. Seulement, il fallait qu’il fasse son service militaire, qu’il montre à son père et aux autres, et peut-être à lui-même, qu’il était un homme. Alors il fit une réclamation et fut déclaré apte. Son année (1987-1988) sous les drapeaux fut une des plus longue de sa vie. Il n’était manifestement pas dans son élément dans ce monde si masculin, violent et dur.

Puis la vie continua tant bien que mal à dérouler ses années, de petits boulot en usine, en TUC, puis en période de chômage ... De déprimes en déprimes, de look de “dur à cuire” aux jupes, bas et maquillage. Qui était-il ? Il ne le savait pas. Il ne se sentait pas bien du tout dans cette peau d’homme, mais que pouvait-il bien y faire. Peut-être était-il malade, fou ... En tous cas, il n’était pas heureux. En découlaient des conduites addictives dangereuses, des diverses drogues aux traitements anti-dépressifs pris avec de fortes doses d’alcool.

Il essaya encore d’avoir l’air plus “mâle”. Il se fit tatouer, se laissa pousser la barbe, acheta une harley, ce qui ne l’empêchait pas de continuer ses “délires” de femmes. Visiblement son entourage ne se doutait de rien. Tant mieux ! Il se sentait ridicule. Il pensait être obligé de vivre dans une peau qui ne pouvait pas être la sienne. Il revendit sa moto, partit en stop habiter dans le sud, puis en Irlande. Puis il revient à Mâcon où il rencontra celle qui allait devenir se femme et la mère de ses deux enfants. Il continuait bien sûr à s’habiller en cachette puisque c’est ainsi qu’il se sentait bien. Il achetait puis jetait ces vêtements qu’il aimait mais lui inspirait la honte. Il ne se sentait, malgré sa paternité, pas “homme” et détestait qu’on l’appelle monsieur. Il haïssait de plus en plus son sexe, et fit, lors de cette période, ses plus grosses dépressions, dont l’une nécessita un mois d’hospitalisation dont une partie sous perfusion, suivi de nombreux mois de traitements pris ... avec de l’alcool. Son psychiatre pensait qu’il devait être maniaco-dépressif, jusqu’au jour où Jacques se laissa aller à lui parler de son histoire, de son sentiment de ne pas être né dans le bon corps, de ses addictions vestimentaires. Il put lui parler de cela car, entre temps, il était rentré en contact avec d’autres personnes sur internet qui vivaient ou avaient vécu la même chose que lui. Certaines étaient devenues femmes, d’autres avaient commencé leur transition, d’autres enfin étaient aussi perdues que lui-même. Lui qui enfin, sur les forums pouvait devenir celle qu’il ressentait en lui. Jacques n’existait plus et laissait sa place à Val ... Elle se sentait mieux. Elle savait aujourd’hui qu’elle était loin d’être seule. Elle rencontra des personnes dans son cas, qui avaient une association d’entraide à Lyon. Elle avait décidé d’arrêter d’”avoir l’air” et se permettait une allure de plus en plus féminine. Elle n’achetait d’ailleurs ses vêtements que dans des boutiques pour femmes, même si elle réservait les robes et jupes pour l’intimité de son foyer. Après plus de dix ans de vie commune, elle dût se séparer d’avec son épouse. Elles décidèrent d’une garde partagée pour les enfants et restèrent en bon terme. Puis elle retrouva son ancien grand amour de 20 ans auparavant. Une femme remarquable ! L’amour revint encore plus fort qu’avant, presque instantanément. Et même lorsqu’elle lui parla de sa “particularité”, celle-ci l’accepta ... enfin la compris, je crois.

La personne dont je parle dans ces pages, peut-être vous en doutiez-vous, c’est moi-même. Je ne veux plus me cacher. Après 40 ans de honte et de “manque de bonheur”, j’ai décidé que cela suffisait. J’ai mis ma mère au courant. Elle m’a assuré que ça n’enlèverait pas l’amour qu’elle me porte. Mon ex-épouse le sait, je l’ai dit à mes enfants que j’aime profondément, ainsi qu’à de nombreuses autres personnes.

Je ne veux pas mourir avec ce corps qui a fait mon malheur depuis ma plus tendre enfance. J’ai commencé un traitement hormonal de substitution, et j’espère pouvoir subir “rapidement” une vaginoplastie. Je deviendrais proche de ce que j’aurais dû être s’il n’y avait eu cette erreur au cours de la grossesse de ma mère. Je sais que certains vont me haïr, malgré le fait que je ne souhaite faire de mal à personne, que d’autres comprendront ou s’en ficheront ... Je suis ce qu’on appelle une personne “transgenre” et cela, je ne l’ai pas choisi. Mes parents ont eu la fille qu’ils désiraient sans même pouvoir s’en rendre compte. J’espère que ceux que j’aime ne me rejetteront pas, car je reste la personne que j’ai toujours été. Il sera certainement difficile pour certains de m’appeler Valérie, mais j’ose espérer que cela ne posera pas trop de problèmes, je n’en ai pas besoin.

Je vous remercie d’avoir lu ces lignes et j’espère de la part de chacun(e) de la compréhension, mais surtout pas de pitié ou autre compassion.

ps : Depuis que je sais qui je suis, et que j’arrive à plus être que paraître, j’ai arrêté toute prise de médicaments, de drogues, et je ne bois plus du tout d’alcool. Je continue à voir mon psy qui m’assure que je ne suis pas malade et que la seule solution pour être bien dans ma peau, c’est d’assumer qui je suis. Peut-être vais-je enfin commencer à vivre ...

Je voudrais dire aux religieux de toutes obédiences (j’ai moi-même mes croyances) qui seraient tentés de crier au scandale, au vice ou à je ne sais quelle autre chose, que si Dieu existe, et si il est aussi puissant que vous le pensez, alors, c’est sûrement par sa volonté que je vis cet état de fait, peut-être comme une épreuve, ou pourquoi pas, ... comme une chance.


Valérie Grand

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