Quelques conseils sur la transition sociale

I. Période de doutes et de questionnements

Il faut souvent du temps, beaucoup de temps, pour arriver à nous comprendre nous-mêmes, savoir ce qui se passe en nous et savoir quelle vie nous désirons réellement mener. Cette route est longue et ardue, d’autant qu’elle se fait la plupart du temps dans une grande solitude. Ce chapitre vous est destiné si vous vous êtes en période de questionnent identitaire.

Au fond, les questions que l’on se pose le plus souvent sont « qu’est ce qui m’arrive ? », « suis-je malade mental? », « pourquoi suis-je comme ça ? », « puis-je me sentir femme alors que je les aime ? », « qui suis-je ? ».

Qu’est ce qui vous arrive ? Vous sentez un décalage entre les personnes de votre sexe de naissance et vous-même, vous êtes en revanche attiré(e) par les comportements sociaux des personnes de sexe dit « opposé ». Du coup, vous êtes perdu(e), parce que vous savez que ce n’est pas ce que la société attend de vous ; on vous l’a suffisamment fait comprendre depuis votre enfance. Vous essayez donc de savoir pourquoi vous avez ce ressenti. Peut-être même avez-vous tenté à maintes reprises de vous en débarrasser.

Vous n’êtes pas malade mental ! Vous vous posez simplement des questions sur votre genre, c'est-à-dire votre sexe psychologique. Même si cela peut faire peur quand on vit cette période seul(e), il n’y a là rien de grave dans le sens où des solutions existent : il y a une fin à tous ces questionnements. Ceux-ci sont sains et nécessaires ; mieux vaut se poser sincèrement certaines questions plutôt que de continuer à tenter de refouler cette partie de vous. Car refouler ne permettra qu’un répit temporaire, bientôt suivi de périodes de doutes encore plus dures.

Il est important de bien prendre conscience que vous n’êtes pas seul(e) à vivre ce que vous vivez, loin de là. N’hésitez pas à partager avec d’autres personnes vos états d’âmes. Il y a de nombreux lieux de discussions sur Internet (« forums » et « chats »), et il existe des groupes d’accueil dans beaucoup de villes françaises. Il y a donc toujours moyen de rompre le silence, de souffler pour relâcher la pression.

Il y a autant de façons de vivre son genre que d’individus. On se pose souvent la question binaire « suis-je un homme ou une femme », mais elle n’a pas réellement de sens en elle-même, et encore moins de réponse, si ce n’est par des clichés. Une question plus pertinente à se poser serait plutôt « comment me sentirai-je mieux ? » car elle possède une réponse. Vous pouvez en effet trouver un équilibre en vivant votre vie en vous appropriant les choses qui vous parlent, et en laissant de côté celles qui ne vous correspondent pas.

Si continuer à vivre sous la pression de votre genre actuel n’est clairement pas épanouissant, se forcer à passer complètement dans l’autre genre ne le serait pas non plus, si ce n’est pas ce que vous souhaitez. Il n’y a pas que deux manières de vivre socialement et personnellement, mais une infinité. On peut se sentir homme, femme, ou même les deux, cela peut varier selon les jours, les heures, être à 80% homme et 20% femme en quelque sorte, etc. De plus, les définitions de la féminité et de la masculinité dépendent là aussi des gens, des circonstances, des cultures et des époques. En particulier, ce n’est en aucun cas parce qu’on aimerait les femmes qu’on ne pourrait pas se ressentir également femme ! De même, on peut se sentir garçon et aimer les garçons. De trop nombreuses personnes sont malheureuses car elles considèrent que le genre est binaire, et au final ne trouvent leur place nulle part. Qui que vous soyez, où que soit votre équilibre, gardez à l’esprit que vous êtes une personne à part entière, tout aussi respectable que n’importe quel autre humain au monde. Soyez toujours bienveillant(e) envers les autres, mais aussi envers vous-même.

On se torture parfois pour trouver l’origine de ce qui nous apparaît comme une insurmontable différence. De nombreux psychiatres ont élaboré à ce sujet des explications plus ou moins fumeuses, auxquelles on trouve foison de contre-exemples au sein de notre communauté. Et, finalement, personne n’a vraiment d’explication satisfaisante. Cependant, comprendre l’origine de quelque chose qui pose problème ne revient de toute manière pas à résoudre le dit problème, si problème il y a avait. En d’autres termes, il arrive un moment où on se rend compte que peu importe la raison, et qu’il vaut mieux consacrer son énergie à comprendre comment mieux vivre le présent plutôt que d’analyser le passé.

Donc, « qui êtes-vous » ? Vous êtes vous-même. A vous de trouver votre équilibre. Celui-ci se réajustera d’ailleurs certainement au cours du temps. Il est clair qu’il est très difficile de savoir où il se situe. Là encore, discuter et partager avec d’autres personnes en questionnement ne pourra que vous aider à avancer, à condition de tomber sur des personnes ouvertes, et pas sur des gens qui vous assèneront des clichés sur ce que doit être une vraie femme, un vrai homme, voir un(e) vrai(e) transsexuel(le).

Quoi qu’il en soit, même si ce cheminement est jonché de doutes et de défis, votre bonheur est à la clé, quelle que soit votre manière d’être, pourvu qu’elle vous corresponde sincèrement.

II. « passing » et regard des autres

Le « passing » désigne les techniques qui permettent de « passer » socialement dans le genre désiré. Pour les filles, cela consiste à se maquiller, choisir des vêtements en cohérence avec son âge et sa situation sociale, éventuellement choisir une perruque, des prothèses mammaires, travailler sa voix, etc. Pour les garçons, cela concernera par exemple l’utilisation d’un binder, là aussi un choix de vêtements différents, des astuces pour donner l’impression d’une barbe naissante ou se « packer ». On ne donnera pas ici de conseils sur ces différents aspects techniques, car on peut trouver des informations en abondance sur Internet, dans des magazines, ou simplement en observant les gens au quotidien.

Il est normal de souhaiter être visuellement crédible en tant qu’homme ou que femme, selon qu’on soit FtM ou MtF, dans nos relations sociales ou quand on se regarde dans un miroir, pour que l’image renvoyée soit en harmonie avec la perception qu’on a de soi-même. A ce titre, il peut donc être intéressant d’apprendre à maîtriser les différentes solutions de passing afin d’augmenter les chances de bien passer, de se fondre dans la masse.

Un FtM n’est jamais à l’abri de rencontrer une personne qui le saluera d’un sarcastique « bonjour madame » ou une MtF de croiser quelqu’un qui la pointera du doigt en se moquant dans la rue.

Face à ce risque, il y a généralement deux réactions, toutes deux excessives car à l’image de l’état d’angoisse dans lequel on se trouve : soit on n’ose pas sortir de chez soi par peur d’être « découvert(e) », soit on fait appel à la chirurgie esthétique pour effectuer des interventions souvent lourdes et aléatoires (en particulier sur le long terme). Dès le début de sa transition, mieux vaut donc intégrer le fait qu’il n’est pas si grave de ne pas passer parfaitement. Cette peur du regard des gens est tout à fait compréhensible. Mais il faut essayer de la combattre, car elle nous empêche de nous épanouir. Il est vraiment dommage que certaines MtF attendent des années avant de sortir de chez elles, par peur du regard des autres, alors qu’elles meurent d’envie de se promener dans la rue en tant que fille ; même des personnes ayant fait la chirurgie de « réassignation sexuelle » n’osent parfois pas sortir, attendant d’être suffisamment crédibles à leurs propres yeux pour enfin commencer à exister socialement.

La notion même de crédibilité est d’ailleurs largement arbitraire. Il n’existe pas un seul type de femme ni d’homme. Il existe des hommes imberbes, il y a des hommes qui n’aiment pas le foot, et d’autres aussi qui osent montrer leurs sentiments. De même, il y a des femmes qui ont une mâchoire assez carrée, certaines qui détestent porter des robes ou du maquillage et d’autres qui oseront hausser la voix dans certaines situations. Il ne faut pas confondre la réalité avec des représentations socioculturelles abstraites : aucune femme ne ressemble à Barbie, aucun homme ne ressemble à Ken. Vouloir passer socialement est complètement compréhensible, mais il faut rester à sa propre écoute pour comprendre quel homme et/ou quelle femme on souhaite être.

La peur évoquée plus haut est d’ailleurs paradoxale dans le sens ou ce dont on a peur n’est pas ce qui pourrait nous arriver de pire : ce n’est généralement pas la perspective d’une agression physique qui nous terrorise, mais plutôt le regard de nos concitoyens. Il est donc important de travailler sur soi et de comprendre ce qui nous dérange dans ce regard porté. Après tout, le fait qu’un inconnu vous toise avec mépris n’a pas de conséquence directe sur votre vie. Pourquoi se sentir concerné(e) par l’opinion d’un imbécile ? Pourquoi est-on aussi profondément blessé(e) quand plusieurs personnes au cours d’une même journée nous adressent la parole en utilisant le mauvais genre grammatical? Pourquoi fond-on en larmes après une série d’insultes ? Les réponses ne sont pas aussi évidentes qu’elles en ont l’air.

Si on est réellement bloqué par ce qu’on croit que les gens pensent, imaginer que prendre un traitement hormonal et subir des opérations chirurgicales suffira à se sentir vraiment bien est illusoire : cela permettra évidemment de mieux passer et de se sentir mieux dans sa peau, ce qui est très important, mais ça n’enlèvera pas la gêne dans une situation de déni social ou vous n’êtes pas reconnu pour ce que vous êtes. Attention, cela ne signifie en aucun cas qu’il ne faille pas commencer de transition tant que l’on n’est pas totalement prêt(e) à affronter le monde entier, mais juste qu’il faut prendre conscience de cette épine.

Ceci dit, il est tout à fait possible d’apprendre à gérer cette appréhension. Pour commencer, ne pas hésiter à sortir de chez soi pour apprendre à faire face à nos craintes. Savoir gérer certaines situations, notamment les insultes, pourra prendre des années. Il est possible de se faire aider par un psychothérapeute pour comprendre comment les surmonter, même si rien ne remplace l’expérience. La souffrance vécue dans ces situations est parfois difficile à comprendre pour des personnes « cisgenres », le dialogue avec d’autres personnes trans pourra là encore être bénéfique, car nous connaissons tous et toutes ces craintes.

III. Le coming-out

Il serait non seulement ambitieux mais surtout illusoire de vouloir livrer un guide « clé en main » du parfait coming-out. C’est à chacun de sentir le moment et la manière d’aborder le sujet de sa transidentité avec ses proches. On pourra donner des conseils d’ordre très général, mais rien de précis ni de définitif. Ce sera à vous de piocher quelques idées par-ci par-là en fonction de la relation que vous avez avec la personne à qui vous souhaitez parler. Même si on utilise dans la suite de cette partie le présent de vérité générale pour simplifier les phrases, rien de tout ceci ne revêt un caractère systématique, on ne peut présumer des réactions qui viendront. Vous pourrez être très déçu(e) par des personnes avec lesquelles vous pensiez être intimes, comme vous pourrez être agréablement surpris(e) par d’autres bien plus éloignées qui vous témoigneront un soutien important.

Il est conseillé de ne pas être agressif quand on présente les choses, d’essayer d’être le plus didactique possible. Il faut garder à l’esprit que rares sont les personnes qui savent ce qu’est la transidentité. Elles pourront donc être très maladroites sans pour autant que leurs propos soient destinés à vous blesser.

Pensez à rassurer la personne en lui disant que vous vous sentez mieux ainsi et que même si vous rencontrez des difficultés, c’est au final pour vous épanouir.

Se montrer tout de suite habillé(e) en homme ou en femme (selon) peut s’avérer hasardeux, car on s’expose à des réactions d’extrême surprise, de gêne, ou de moqueries, votre interlocuteur ne sachant pas à priori où vous voulez en venir. Inversement, le mettre devant le fait accompli pourra apporter du poids à votre discours.

Vous pouvez informer quelqu’un en lui parlant en tête à tête, au téléphone, en lui envoyant un courrier ou en laissant une tierce personne la prévenir. L’avantage du tête à tête est que cela créé une intimité entre vous deux. A juste titre, votre ami prendra ce dialogue comme une grande preuve de confiance. Les questions viendront plus facilement, et vous pourrez éventuellement approfondir certains points. En vous voyant, votre ami constatera aussi à quel point le sujet est important pour vous. Il sera aussi sensible à votre mieux être. Les deux principaux inconvénients sont la difficulté pour vous de trouver le courage de parler et le risque que la personne oublie par la suite des choses importantes que vous aurez dites (ou que vous aurez oublié de dire sous le coup de l’émotion). Parler au téléphone pourra être plus facile pour vous, mais vous ne pourrez pas voir la réaction de votre interlocuteur.

L’énorme avantage du courrier, qu’il soit électronique ou postal, est que votre correspondant pourra lire et relire votre message autant qu’il le voudra, y compris plusieurs jours après. De votre côté, vous pourrez écrire précisément ce que vous souhaitez exprimer. L’inconvénient est que ce mode de communication pourra paraître plus froid qu’une discussion de vive voix. Et surtout vous n’aurez pas la réaction « en direct ». Vous risquez donc d’attendre plusieurs semaines en vous demandant si la personne ne répond pas car elle n’a pas reçu le courrier, si elle souhaite couper les ponts avec vous, ou si elle cherche les mots pour vous répondre. Vous pouvez également tout à fait envoyer un courrier quelques jours après avoir parlé en tête à tête à quelqu’un en lui expliquant plus en détail votre ressenti, par exemple.

Enfin, laisser une tierce personne faire circuler l’information vous évitera beaucoup de stress, mais là encore vous ne saurez pas comment votre évolution sera perçue. Pire, vous ne saurez pas non plus comment l’information aura été transmise. Le « Je me sens femme depuis toujours» que vous aurez confié à quelqu’un pourra être déformé en « Jean-Pierre ne va pas bien du tout, il se prend pour une femme ». Ce moyen est donc plus risqué. Et certaines personnes très proches pourront être blessées d’apprenant de cette manière ce que vous vivez, ne comprenant pas pourquoi vous ne leur en avez pas parlé directement.

Le besoin de partager avec nos proches ce qu’on vit intérieurement est d’autant plus fort qu’il fait souvent suite à des années de silence, par peur de l’incompréhension et du rejet. Certaines personnes ne ressentiront tout simplement jamais le besoin de parler de leur transidentité car elles n’éprouveront pas la nécessité de changer socialement au quotidien. D’autres préfèreront couper les ponts avec certaines personnes plutôt que d’avoir à leur parler. Inversement, certaines personnes souhaiteront informer tout leur entourage même si elles n’envisagent pas du tout de traitement hormonal. Bref, chacun s’ouvrira – ou pas – en fonction de sa relation et de son besoin de s’exprimer. Il n’y a pas d’obligations ni de règles en la matière.

On pense beaucoup au coming-out en redoutant des réactions violentes et en espérant une acceptation totale. Dans les deux cas, on anticipe des scènes d’une émotion intense en pensant que la relation sera soit largement détériorée, soit incroyablement renforcée. En revanche, on ne se prépare pas à la situation pourtant la plus fréquente : l’indifférence. Il ne s’agit à vrai dire pas d’une indifférence réelle. Ce que l’on dit intéresse nos amis, mais il y a en fait un immense quiproquo, car ils ont souvent des préjugés sur le sujet. Et au final, leur réaction est vécue par nous comme un désintérêt profond, ce qui peut s’avérer très violent.

Il est très difficile pour une personne cisgenre de s’imaginer la souffrance due aux années de doutes, de remise en question, de déni de soi, de refoulement, ainsi que la terreur de ce qui nous attend dans la société. Souvent, nos proches reçoivent donc le fait de se sentir homme/femme et de vouloir agir pour être en accord avec soi-même comme une simple information sur un ressenti général. Les réactions sont souvent riches en émotions au moment où on parle la première fois, mais au lieu d’une avalanche de questions et d’un rapprochement de leur part les jours suivants, on constate souvent un assourdissant silence.

Il y a plusieurs raisons à ce silence. Une réaction en décalage avec ce que vous espériez - étant donné ce que vous vivez – reflètera généralement une bête méconnaissance de ce qu’est la transidentité. Certains amis garderont le silence tout simplement parce qu’ils accorderont peu d’importance à votre changement. Cela ne signifiera pas qu’ils auront parfaitement intégré ce que vous leur avez dit, mais au contraire qu’ils mésestiment l’importance de la situation. D’autres penseront qu’il s’agit là d’un problème de sexualité, et qu’ils n’ont à ce titre pas à poser des questions. D’autres encore auront peur de vous gêner.

Il est important de bien anticiper ces réactions au moment du coming-out, et de ne pas hésiter à être très clair avec votre entourage sur ce que vous attendez d’eux dans les mois qui suivent : « n’hésite surtout pas à me poser toutes les questions qui te viennent, je ne prendrai pas ça comme de la curiosité mal placée mais au contraire pour de l’intérêt », « j’ai toujours eu envie d’avoir une amie avec qui faire les boutiques », « j’aimerai qu’on aille faire du sport ensemble », « j’ai besoin que tu me montres à l’avenir que tu m’acceptes ainsi », « ce que je vis est dur, j’ai besoin de toi ». Au final, la situation sera plus claire pour vos amis, mais aussi pour vous, et cela vous évitera de vous ronger les sangs à vous demander pourquoi ils ne réagissent pas comme vous l’aviez imaginé.

Les questions et remarques les plus fréquentes sont « es-tu homosexuel ? », « veux-tu aller jusqu’à l’opération ? », « tes parents sont au courant ? », « il ne faudra pas m’en vouloir si je me trompe avec ton nom », « j’imagine que tu as dû bien réfléchir à ton choix ? », « comment vas-tu changer dans les mois qui viennent? », « comment dois-je me comporter maintenant avec toi ? », « ne t’inquiète pas, je garderai le secret », « pourquoi ne m’en as-tu pas parlé plus tôt ? ». Préparez-vous à y répondre.

Globalement, les réactions sont souvent bien moins terribles qu’on ne l’imagine. Cela passe même souvent très bien avec les personnes qui nous aiment. Soyez confiants !



Sophie Berthier, septembre 2007, tous droits réservés.
Le contenu de cet article est protégé par un droit de propriété intellectuelle selon la formule de l'article L 112-1 du CPI (droit d'auteur). Pour le citer ou en mentionner le contenu, merci de donner le titre de l’article, le nom de son auteur, l’URL ainsi que la date la plus récente à laquelle vous l’avez consulté.